Samara sortait de cours. Et comme toujours, il faisait un détour par le parc. Samara Goldstein était un adolescent pas comme les autres ce qui faisait fuir la plupart des gens. Si auparavant, il s'en fichait, aujourd'hui ça le pesait. Il se rendait compte que jamais il ne pourrait avoir de vie normale. Et il en voulait au nom interdit d'avoir fait de sa vie un enfer. Il avait appelé Brad directement après les cours pour lui dire qu'il comptait se coucher tôt et qu'il aurait eu la flemme de l'appeler plus tard dans la soirée. Mais Samara avait un mauvais pressentiment ce jour-là. Il avait été nerveux toute la journée et n'avait rien écouté de ses cours d'économies. Il avait l'impression que là-haut on lui donnait une épreuve de plus à passer. La journée avait été calme et son instinct lui suppliait de rentrer tout de suite, sans faire de détour.

Mais Samara n'avait pas écouter la petite voix enfantine qui pleurait de nouveau. Ni même la voix moqueuse qui le traitait de poule mouillée. Il n'était pas une poule mouillée. Menteur. En réalité, Samara replongeait dans une crise d'angoisse parce qu'il était seul. Seul face à la vie réelle. Seul face aux multiples dangers. Brad était trop loin pour le protéger. Et il n'avait pas vraiment d'amis en ville sur qui compter en cas de coup dur comme maintenant. Mais il ne voulait pas craquer. Il avait dix huit ans après tout. Il marchait dans ce parc, faisant face à ses angoisses les plus folles. Il regardait partout autour de lui, se retournait souvent et avait la désagréable sensation qu'on le suivait.

Sa crise d'angoisse le prenait au corps et il du s'asseoir pour reprendre sa respiration. Il avait l'impression et la sensation d'étouffer et que rien ne pourrait l'aider à retrouver une respiration normale. Les gens qui passaient semblaient l'ignorer. Il avait envie que d'une seule chose, sangloter. Mais cela lui rappelait un mauvais souvenir. Et ce n'était pas le moment de se rappeler les mauvais souvenirs. Il tenta d'attraper son téléphone et d'appeler Bradley au secours mais là aussi, il avait l'impression que tout s'acharnait contre lui. Il ne trouvait pas son téléphone.

Son service était terminé depuis près de trente minutes maintenant mais Mickaël tenait à terminer sa paperasse avant de rentrer chez lui. En réalité, trouver un appartement vide et, occasionnellement, des terreurs nocturnes, ne l'enchantait pas plus que cela. Il aimait donc faire durer le plaisir et retarder le plus possible son retour chez lui. Pourtant, il finit par plier bagage, saluant les collègues présents dans le commissariat. Bien décidé à faire un tour avant de rentrer, il commença une longue marche allant là où ses jambes le menaient. Il regardait les bâtiments autour de lui, enregistrant chaque détail qu'il voyait. Cette ville lui était encore étrangère et il devait encore se l'approprier. Après tout pour son travail, il devait la connaître un minimum et assez vite.

Un parc attira son attention et sans vraiment comprendre pourquoi, il y entra attiré par le mouvement de la foule. Les gens aimaient s'y promener, cela les détendait apparemment. Mickaël, lui, n'aimait pas ce genre d'endroit. Les passants étaient trop nombreux, trop peu soucieux de ce qu'il se passait autour malgré leur bienveillance. Ses pas l'emmenèrent presque à la sortie du parc mais son regard fut attiré par un jeune homme assis sur un banc et tout s'écroula autour de lui. En vérité, ce fut tout le contraire, car il ne pouvait rien arriver de mieux pour lui, à ce jour. L'herbe lui paraissait tout à coup plus verte et le ciel plus bleu. Son coeur tambourinait dans sa poitrine comme un diable en boite. Il leva la tête pour regarder le ciel. S'il croyait en Dieu, il le remercierait sur le champ. Mais il était loin de croire en toutes ces conneries et pourtant. Pourtant, Samara Goldstein se tenait devant lui, à quelques mètres. L'objet de ses pensées depuis qu'on le lui avait arraché à lui. Il n'arrivait pas à croire qu'il se trouvait enfin devant lui, sans même l'avoir cherché. A croire qu'une force mystérieuse avait voulu qu'il le trouve aujourd'hui.

Il ne savait pas exactement depuis combien de temps il était là, à le fixer. Des secondes, des minutes qui sait. Il essayait maintenant de savoir comment il allait l'approcher. Est-ce qu'il se souvenait de lui ? Qu'est ce qu'il savait au juste ? Il ne tenait plus en place, il fallait qu'il l'approche. Au fur et à mesure qu'il approchait du banc, une intense satisfaction l'envahit, il se sentait renaître, littéralement. Il fallait qu'il lui dise, qu'il était revenu pour lui, qu'il ne laisserait plus jamais, qu'il lui appartenait. Il se sentait de nouveau complet, enfin. Arrivé devant lui, il pencha la tête et l'observa fouiller ses poches, il semblait perdu. C'était bien lui, il avait eu peur, quelques secondes, que ce soit un mirage. Mais non, c'était sa putain d'oasis qui allait le sauver de cette vie bien terne jusqu'à maintenant. "Tu cherches quelque chose gamin ?" C'était tellement impersonnel comme première approche depuis dix ans qu'il s'en voulait presque. Il était déstabilisé de l'avoir retrouvé ainsi, qu'il ne savait pas quoi dire. Samara était sûrement l'un des seuls à le laisser ainsi médusé.

Il devait se calmer, faire comme si rien ne s'était passé ou sinon Bradley viendrait à Détroit. Or, il n'avait pas envie de voir son frère venir s'occuper de lui comme s'il avait toujours 16 ans. Il avait dix huit ans et il était temps qu'il grandisse. Quelque chose semblait l'en empêcher. Il cherchait pourtant son téléphone pour que Bradley puisse le rassurer. Mais il ne trouvait pas son téléphone, il ne trouvait rien seulement l'impression d'étouffer. Il allait mourir ici, sur place. Son coeur s'emballait. Une voix lui parlait. Il crut qu'il l'imaginait mais il vit quelqu'un en face de lui. Il leva son regard et tenta de respirer comme il l'avait apprit. Au lieu de se calmer, sa respiration s'emballa. Quelque chose à l'intérieur lui disait de se méfier. Lui qui voulait agir comme un adulte, agissait comme un enfant apeuré. Ce qu'il était.

"Je....Je cherche ... mon téléphone..." répondit-il d'une voix étouffée.

Les larmes lui montèrent aux yeux et pensa très fort qu'il avait besoin de son frère. Il parlait à un inconnu. C'était interdit. Le petit garçon pleurait de nouveau. Il se perdait même. L'inconnu allait le prendre pour un fou. Au mieux, il abandonnerait Samara là et il partirait. Au pire, il le ferait embarquer à l’hôpital et Samara ne le voulait pas. Il en avait assez de tous ces psys à la noix. Alors comment faire pour se calmer? Il ne voulait pas parler à un inconnu mais cet inconnu pourrait l'aider à appeler son frère.

"Je dois .. parler ... à ... Bradley.... c'est mon ...frère" reprit-il entre deux respirations.

Il n'arrivait pas à se calmer. Rien ne pourrait l'aider. Alors malgré ses peurs, il supplia:

"S'il vous plaît... aidez-moi..."

Si seulement il savait à qui il parlait. Il ne l'aurait pas fait...

Être assis auprès de Samara après toutes ces années rendait Mickaël fébrile. Il avait encore du mal à croire qu'il l'avait retrouvé sans efforts. Mieux encore, sans rien faire. Il laissa son esprit vagabonder quelques secondes, se projetant dans le futur, il le voyait à ses côtés, il n'en pouvait être autrement. Son attention se reporta sur le jeune homme qui semblait des plus paniqué, et encore le mot était faible. Mickaël se sentait alors tout puissant même son état de faiblesse n'était pas due à lui. Voir Samara tremblant devant lui lui procurait une satisfaction personnelle sans limite et il comptait en profiter. Sa respiration se fait erratique, il avait presque de la peine pour Samara. Presque, car il était dans un état de jubilation assez avancé. Il cherchait donc son téléphone. Le lieutenant de police le regarda faire avec un petit air joueur. Il s'amusait à penser que c'était lui-même qui mettait Samara dans un état pareil. Il planait complètement, autant dire que sa journée était refaite.

Bradley. Il l'avait presque oublié celui-là. Ce prénom lui fit revenir sur Terre, son frère allait devenir un obstacle si Samara arrivait à le joindre. Il restait sa dernière attache, malheureusement Mickaël souhaitait l'être. Il ne connaissait pas vraiment ce Bradley mais le détestait déjà et il regrettait vraiment qu'il n'ait pas été là ce fameux soir. Samara se serait retrouvé seul, sans famille, à sa merci, rien qu'à lui. Une légère pointe d'amertume le titilla, il fallait qu'il agisse vite. Il allait ouvrir la bouche pour proposer son aide mais Samara le devança et le pria de l'aider. Mickaël rit de bon cœur, il ne pouvait pas s'en empêcher. C'était se jeter dans la gueule du loup, ni plus ni moins. "Bien sûr. En quoi puis-je t'aider Sammy ? Tu veux que je te prête mon portable ?" Un sourire machiavélique se dessina sur ses lèvres. Il avait prononcé son prénom volontairement, il gardait le contrôle sur ses paroles et ses actes jusqu'au bout. Il voulait juste voir si le garçon allait réagir ou s'il était trop bouleversé pour réagir. Il sortit son téléphone et le tendit à Samara. Il était inutile de dire qu'il le reprendrait lorsqu'il sentira que la conversation dérape. Le contrôle, sa vie était régie par le contrôle.

Samara se glaça d'effroi lorsqu'il entendit le surnom. Sammy... il détestait ce surnom depuis des années maintenant. Maintenant, il commençait à comprendre. Le surnom plus la voix qu'il semblait reconnaître. Il ne devrait plus avoir peur. Il n'avait plus 5 ans. Il avait 18 ans. Mais il était déjà en position de faiblesse avec sa crise d'angoisse. Silencieusement, il implora Bradley de venir le sauver mais Bradley était loin. Et Samara était seul. Il jeta un regard terrorisé à l'homme, dont tout lui revenait en mémoire petit à petit. Et il trouva une sorte de courage. De mini courage qui l'aiderait à fuir. Encore et toujours fuir. Il n'avait jamais parlé. Mais il se sentait en danger.

Samara attrapa son sac et il commença à courir, sans rien dire. Il serra son sac très fort contre lui et il partit dans n'importe quelle direction, histoire de fuir et de ne pas l'amener jusqu'à son appartement. Son coeur battait à plus de 100 à l'heure mais cela ne l'empêcha pas de courir. Il traversa le parc à une vitesse élevée... lui qui n'aimait pas courir...

Il s'arrêta lorsqu'il se sentit en sécurité vers l'entrée opposée du parc. Il pouvait récupérer son souffle et reprendre sa route. La peur lui restait mais au moins, il pouvait se vanter d'avoir fait passer sa crise d'angoisse. ll marcha normalement mais il fut inquiet d'être suivi. Il allait faire des détours, tant pis.