« Mais lâche-moi putain ! »

Elle feule contre la main qui agrippe sa tignasse, glisse ses phalanges pour tenter de déloger l'intruse et d'atténuer la douleur. Un genou fourré dans la crasse, le dos rond, son visage exsude la fureur et l'insolence. Elle crache un mollard glaireux sur les godasses étincelantes de son bourreau.

« Tu vois, ça a toujours été ton problème, Bobbie... La politesse ! »

Il fait mine de s'indigner et s'accroupit à côté d'elle. Son emprise étrangle davantage les mèches. Il tire une latte sur sa cigarette et la jauge, l'air de se demander ce qu'on pourrait bien foutre d'elle.

« Aurais-tu, s'il-te-plaît, l'obligeance de me lâcher, vieux connard ? Mieux ? »

Les dents du vieux connard grincent. Il la jette en arrière et se redresse pour asseoir sa supériorité. La voila sur les fesses, dans la gadoue. Elle se frotte l'arrière du crâne et sort un paquet de clopes de sa poche pour s'en griller une. Comme si de rien. Comme si ils ne venaient pas juste de se foutre sur la tronche et qu'elle ne venait pas juste de mordre la poussière.

« -La gratitude, aussi... Mais c'est encore une autre histoire. Je suis quelqu'un de raisonnable, je n'en demande pas tant.
-Je t'emmerde. En toute politesse, bien entendu, puisque ça semble te tenir à cœur. Pour peu que t'en aies un, on s'entend. »

Il envoie son pied embrasser la joue de l'insolente. Elle dégringole plus bas. Un putain sonore s'échappe de ses lippes ensanglantées. Une saleté d'envie lui grattouille le cul. Une envie de lui envoyer son poing dans la gueule. Ou sa jambe. Ou son coude. Ou son genou. Ou son crâne. N'importe quoi. Si ça avait été quelqu'un d'autre, elle ne se serait même pas posée la question. Mais là, c'est lui. Son père, qu'il dit. Et c'est vrai, c'est ce qui s'y apparente le plus. Contrairement à ce qu'il pense, elle a ce respect, ce truc qui lui dit de s'écraser face contre terre et de fermer sa grande gueule.

« Tu dois rentrer à la maison, Bobbie. »

A la maison. Elle ricane contre le sol. Le terme lui paraît tellement abstrait. Tellement niais. Elle n'a pas de maison. Sa maison est morte avec Ma'. Et c'était il y a dix-huit ans. Dix-huit putain de longues années.

« -T'as qu'à y rentrer, toi. Je suis très bien là où je suis.
-Bobbie, Bobbie, Bobbie... Ma puce. »

Elle sait trop bien ce que ça veut dire, ce que cette voix mielleuse sous-entend : Bobbie, j'ai besoin de toi. L'a-t-on déjà un jour visité pour autre chose que parce qu'on avait besoin d'elle ? Non. Tout le monde utilise tout le monde. Ainsi va l'humanité.

« -J'écoute.
-Ça, c'est ma fille. » 

Tu sais ce que je pense de cette Bobbie, j'ai hâte de la voir déglinguer des sales gueules. C'est un sacré personnage, comme je les aime. Surtout que tu t'es bien imprégnée du contexte, et j'aime ça. Amuses-toi bien parmi nous.

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